J’écris pour ça.

Hier, j’ai reçu ce courriel d’un lecteur, qui m’a autorisé à le reproduire. Il s’appelle Luc Blanvillain, et je le remercie. Parce que grâce à lui, toute trace d’aigreur à déserté mes synapses, grâce à lui je sais que je vais continuer à écrire – et affirmer cela n’est pas faire injure à ceux qui m’ont déjà dit ou écrit de jolies choses sur Entre toutes les femmes (coucou Bertrand, Nathalie, Hélène, Keisha, Julia…), les mots de Luc viennent simplement fixer une fois pour toutes, comme une couche de vernis, les effets bienfaisants des leurs.

Votre livre m’a beaucoup plu. Les symptômes sont indiscutables : addiction, rêves tourmentés après l’avoir posé sur ma table de nuit, supputations incessantes sur la suite, multiplication des cornes, au fil des pages, retours en arrière, relectures. Et, malgré ces allers et retours, je l’ai avalé en quelques jours.
J’ai aimé, d’abord (je glisse un « d’abord » pour créer un effet de structure. Ensuite, j’empilerai des remarques décousues, bien que cette métaphore manque de cohérence) ne pas du tout savoir où vous me meniez. Impossible de prévoir ce que serait ce récit. Politique-fiction, sociologie-fiction, sexe-fiction, fiction-fiction. Vous nous baladez avec bonheur entre les genres, sans jamais nous lâcher, sans esbroufe non plus. Après coup, toutes les bifurcations apparaissent nécessaires. Les personnages existent, surtout Marco, Igor, Hanni et, bien sûr Cybèle. Et Gabrielle ? Oui. Mais je l’ai un peu moins aimée, elle s’énerve tout le temps. A juste titre, sans doute, mais tout de même. J’ai retrouvé un plaisir ancien, celui du lecteur de Métal Hurlant, que je fus avant la Grande Catastrophe de l’âge adulte. Pourquoi Métal Hurlant ? Je ne sais pas. Votre récit a un côté vintage 80’s et, à mes yeux, c’est un vrai compliment. La silhouette de cet empereur psychopathe m’a rappelé certains dessins de Moebius.
Ensuite (oui), bien sûr, la truculence lexicale, le grouillement de mots rares et précieux et sonores, une jubilation flaubertienne, époque Salammbô (celle de sa collaboration avec Druillet), les images très charnelles, bouchères parfois, toujours sensibles. Le réalisme des sentiments naît, étrangement, de la démesure de l’intrigue, des décors, des figures. On est (j’étais) dans un cauchemar verbal. Des créatures monstrueuses, en perpétuelle métamorphose, en qui l’on (je) se reconnaît/s.
Cauchemar, oui. Ce roman m’a beaucoup angoissé. Il pointe toutes nos terreurs. Les passages d’analyse politique sont incisifs, précis, affolants. Personnellement, je partage la prétendue naïveté d’Arsène-Cybèle. Le regard porté sur notre monde me semble impitoyablement juste. Vous faites sentir la fragilité des fausses évidences qui nous façonnent. Fragilité aussi de la liberté, viscosité de l’aliénation consentie, lâchetés déprimantes.
J’ai bien apprécié les clins d’œil, les noms glissés dans la trame, les appels à une connivence fraternelle, qui me consolait un peu de la noirceur apocalyptique de l’histoire. Vous aimez Jaenada ? J’ai adoré Le cosmonaute. Avez-vous pensé à La Carte et le territoire, en apparaissant comme personnage dans votre histoire ?
Et, bien sûr, bien sûr, ce qui reste, et qui retentit longtemps, c’est une voix. La vôtre. Très originale, très personnelle, très libre. Revigorante et roborative. Par rapport, oserai-je le dire, à beaucoup d’auteurs français du roman, d’écritures soi-disant blanches. Aphones.
Merci pour ces très beaux moments.

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Les mauvaises feuilles (2)

Couv_ETLF_smallEntre toutes les femmes, mon quatrième roman, sortira le 8 janvier 2015.
En attendant, je vous propose en avant-première mondiale de lire non pas, comme les magazines le proposent pour les best-sellers annoncés, les bonnes feuilles, mais des extraits qui ont été coupés à la relecture. Les mauvaises feuilles.

Comment ça, « c’est pas très vendeur » ?…

*

Mais si elle a réussi à châtrer ses émotions, jamais elle n’a pu juguler son empathie pour ses semblables. Après tout, l’agueusique a besoin de se nourrir, lui aussi.
Qu’attendent-ils d’elle, ces fichus nimaliens ? Qu’elle dise leur texte, comme une vulgaire interprète ? Pas question. Et pas question non plus d’œuvrer avec eux à la rédaction mensongère d’une hagiographie. En premier lieu parce qu’elle travaille seule. Non négociable. Mais pour raconter quoi ?
Irritée, elle va chercher sur une étagère ses romans des deux plus grands auteurs à peu près contemporains de Nimale (selon le Darcos et Lefebvre, qui fait référence depuis des siècles), Florian Zeller et Nicolas Fargues. Elle les pose au pied de son lit. S’y trouvent le Beigbeder et le Houellbecq qu’elle a pris à la bibliothèque le matin même. Elle sourit en se rappelant la mort absurde de ces deux-là, lors de la même soirée de débauche après le Goncourt du premier, assassinés par une escort-girl qui ne jurait que par David Foenkinos, battu ce jour-là pour la cinquième fois, d’une voix (celle de Yann Moix, se murmurait-il).
En juxtaposant les toiles de fond de ces ouvrages, elle se replongerait dans la France des premières décennies du XXIe siècle, même si elle préférait à ces quatre auteurs qui avaient traversé les siècles d’autres de la même période, tombés complètement dans l’oubli, ou des plus anciens encore, qui n’avaient pas non plus laissé leur nom à la postérité, comme Dostoïevski, Yourcenar ou Tournier.

Comme chaque fois qu’elle veut s’échapper quelques instants d’une réunion, Gabrielle se concentre sur la plaque émaillée vieille d’au moins 450 ans qui orne l’un des murs du local. « Louis-Blanc », peut-on y lire. Le nom d’une station de métro, du temps où on se déplaçait sous terre dans Capitale. Avant la Grande Catastrophe. Cette station avait été rebaptisée « Nicolas-Sarkozy » quelques années avant qu’Arsène Nimale n’arrive au pouvoir, comme « Louise-Michel » était devenue « Charles-Maurras ». À partir du Ier siècle avant GC, apprend-on à l’école, le peuple a rejeté en masse le gauchisme et ses utopies ; nombre de lieux publics ont alors été débaptisés. Vivre sous un régime impérial où le pouvoir se transmet de père en fils dispense aujourd’hui les Gaulois de ces querelles politiques stériles dans lesquelles leurs ancêtres français se complaisaient.

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Les mauvaises feuilles (1)

Couv_ETLF_smallEntre toutes les femmes, mon quatrième roman, sortira le 8 janvier 2015.
En attendant, je vous propose en avant-première mondiale de lire non pas, comme les magazines le proposent pour les best-sellers annoncés, les bonnes feuilles, mais des extraits qui ont été coupés à la relecture. Les mauvaises feuilles.

Comment ça, « c’est pas très vendeur » ?…

*

L’explication lui apparaît le soir même, pendant qu’il regarde un match de football avec Aura et Jim. Le commentateur loue la personnalité d’un joueur qui ressort du collectif précisément parce qu’il permet à celui-ci d’être efficace. Tout en étant singulier, ce joueur n’est que le onzième d’un tout qui sans lui aurait été moins équilibré ; il n’est pas aussi brillant que la star de son équipe – qui fait se lever la foule par ses gestes techniques, certes, mais ceux-ci ne débouchent sur aucun bénéfice collectif. Dans l’équipe adverse, aucun joueur ne ressort. Les commentateurs parlent d’un bloc discipliné, sans génie, dans lequel les remplaçants se fondent anonymement lorsqu’ils entrent en jeu. L’un d’eux est interviewé à la fin du match. Il lui est demandé s’il n’est pas frustrant pour lui de jouer à un poste qui n’est pas le sien, ce qui l’empêche d’exprimer ses qualités individuelles. Il répond d’un air résigné que ce sont les choix du coach et qu’il est au service de l’équipe.
– Quel joueur préférerais-tu être, Aura ? demande Arsène une fois l’écran éteint. Le génie admiré de tous, le chef d’orchestre discret reconnu par ses pairs ou celui qui se plie à la discipline collective jusqu’à renier ses qualités propres?
– Le chef d’orchestre, répond-elle sans hésitation.
– Mais 90% des gens répondraient le génie, non ?
– Au moins, oui.
– Pourquoi ?
– Ah non, Arsène, on ne pourquoite pas ce soir !
– Moi je choisirais le génie, affirme Jim en revenant avec le dessert et une bouteille de vin. Parce qu’il gagne plus de blé et qu’il a toutes les filles à ses pieds.
– Mais il est jalousé, voire détesté, le contre Aura. Il ne saura jamais qui sont ses vrais amis.
– Tu crois que le bon petit soldat, il est plus heureux ? Il fait ce qu’on lui dit de faire, il n’a aucune liberté, il n’est qu’un parmi d’autres. Une vie pourrie de mouton, voilà ce qu’il a !
Le plop ! du bouchon extirpé du goulot ponctue la tirade de Jim. Arsène semble réfléchir à voix haute lorsqu’il reprend :
– Une équipe dans laquelle il n’y aurait que des solistes jouant pour être applaudis serait aussi peu épanouissante pour chacun des joueurs, qui se battraient alors entre eux pour le ballon, qu’une équipe où il n’y aurait que des exécutants dociles brimés dans leur créativité individuelle. Au contraire, une équipe dans laquelle chaque joueur serait heureux, c’est une équipe où l’on prendrait à la fois en compte leur envie de jouer au football, donc ensemble, et leurs qualités propres de footballeur.
– Tu veux devenir entraîneur ? ironise Jim.
– Ça s’appelle une métaphore, fait Aura. Je crois que je vois où tu veux en venir, Arsène. Mais comment rends-tu cela…
– … ifféragable ? complète Jim. C’était ça la question ?

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T’es sur la liste ?

Voilà, des listes commencent à fleurir un peu partout répertoriant les quelques romans qu’il ne faudra surtout pas manquer en janvier, ami lecteur.
Et forcément, soyons franc, ne pas y trouver Entre toutes les femmes plombe un peu le moral, pendant une bonne dizaine de minutes.
J’ai envie de savoir comment elles sont dressées, ces listes, par qui, si les listeurs ont lu tous les romans qui vont sortir en janvier. J’ai envie de savoir mais quelle importance après tout?
Certes, je trouve ça un peu injuste. Pas de ne point y figurer, mais qu’avec des collègues qui sans doute comme moi ont bossé comme des chiens, nous soyons relégués dans une sorte de no (ro)man’s land, des limbes d’où ils sera très difficile de s’extraire pour que soit aperçu, puis peut-être partagé, notre travail, dans lequel nous avons mis notre temps, notre énergie, notre savoir-faire, notre humanité aussi. Ces sélections sont arbitraires, cruelles, du spectacle et de la marchandisation. A quoi bon le brailler? C’est la règle du jeu, nous le savons tous, un jeu à élimination directe qui n’a que peu à voir avec la qualité – même s’il ne l’exclut pas.
Oui, lorsqu’on est publié, on sait que notre roman sera préjugé, que quelques-uns disposent du pouvoir inouï d’anéantir (c’est le mot juste) des mois et des mois de labeur. Donc il nous faut encaisser stoïquement et dignement la violence de cette exclusion. Surmonter la déception si déception il y a (le mieux pour ne pas être déçu, c’est de ne s’attendre à rien).
Et finalement, ce n’est pas si difficile.
Parce que chacun de nous, laissés dans l’ombre ou minorité distinguée, sait pourquoi il a passé des milliers d’heures sur son texte. Parce que chacun de nous, qui marquerons ou pas la rentrée de janvier (critère de sélection du Grand Prix RTL-Lire), sait à quoi s’en tenir sur les qualités et défauts de son roman. Et parce que peu d’entre nous je l’espère, sur les listes ou pas, écrivent pour la gloire ou pour l’argent.
Ce qui m’importe? Savoir si j’ai bien travaillé. Si j’ai été honnête vis à vis de l’idée que je me fais de la littérature – oui, les grands mots, désolé. Mon juge ultime n’est pas un chroniqueur littéraire mais un truc transcendant qui se moque des listes, des prix et des bandeaux rouges, même si  l’humain moyennement humble que je suis doit lui se battre un peu.
Mais ce n’est pas si difficile. Je vous vois guetter à la porte, jalousie, aigreur et cynisme. Je ne vous laisserai pas entrer. Je vous aussi, colère et aquoibonisme, qui poussez derrière. Vous ne franchirez pas non plus le seuil. Je suis heureux et en paix parce que je crois que j’ai bien travaillé; savoir si cela a généré un bon roman est une autre question, à laquelle aucune sélection médiatique ne répondra à mes yeux.
Et puis il y a les libraires, les lecteurs, le temps qui fait son œuvre, les journalistes curieux, les blogueurs passionnés.

Voici que fleurissent les listes sur les romans qu’il ne faudra pas manquer en janvier. Je suis certain que dans le lot, nous en trouverons qui ennoblissent.

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Un auteur low cost ?

Couv_ETLF_smallUne autre manière de choisir vos lectures de la rentrée de janvier 2015 pourrait être de comparer ce que vous achèterez pour 1€ dépensé.
Tel un Huggy postmoderne jamais avare de bon tuyaux, je suis à même, après de savants calculs, de vous dévoiler que pour 1€, vous aurez droit à :
11,31 pages de Laurent Gaudé
13,47 pages de Romain Puertolas
13,66 pages d’Olivier Rolin
15,23 pages de Michel Houellebecq
20,10 pages de Virginie Despentes
Et… 23,12 pages d’Erwan Larher
Vous pouvez rapprocher ces chiffres des 15,57 pages par € du dernier prix Goncourt, et moduler pour affiner vos choix ces rapports quantité/prix par le nombre de signes par page, mais surtout par le facteur « qualité » (du style, du papier, de l’objet, etc.) – que je ne me risquerai pas à chiffrer. Je vais me contenter d’imaginer que je suis une bonne affaire, ce n’est pas donné à tout le monde.

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En passant par Gaillac

Salon-du-Livre-de-Gaillac-2012-©-François-Darnez-Les-petits-lézards-200x151Ça m’avait manqué, je crois.
Les piles de bouquins derrière lesquelles dépassent des têtes anxieuses, avides ou ailleurs, les gens qui passent lentement de l’une à l’autre table, jaugeant en un coup d’œil, s’approchant timidement ou au contraire empoignant franchement un bouquin pour en déchiffrer la quatrième de couverture (« Il ne font que palper, aujourd’hui », s’agacera pour de rire mon sagace voisin. « On appelle parfois cela les préliminaires », lui rétorquerai-je.)

Oui, ça m’avait manqué. Même la faiseuse de livres estampillée « vue à la TV », qui de ce fait se croit autorisée à faire des caprices et à tout critiquer dès qu’elle a quitté sa table, derrière laquelle pourtant elle sourit sans relâche (et signe à tour de bras).
Ça m’avait manqué et je dois vous avouer franchement que, même si j’étais ravi d’être invité, et que je m’y suis rendu avec le sourire, je ne savais pas à quoi m’attendre en venant au Salon du livre de Gaillac. J’avais jeté un œil à la liste des auteurs invités et je n’en connaissais aucun. Je n’en connaissais aucun personnellement mais aucun non plus littérairement. Je ne connaissais aucun nom. Bon, je suppose – non, je sais – qu’aucun des auteurs présents ne connaissait le mien. Ne jamais oublier l’humilité, ne jamais oublier l’humilité, ne jamais oublier l’humilité, ne jamais oublier l’humilité, ne jamais oublier l’humilité.
Ce qui m’attendait? Le cadre magnifique d’une ancienne abbaye, la chaleur d’organisateurs et bénévoles attentifs et efficaces, un public nombreux et curieux (et acheteur), l’ambiance d’un salon à taille humaine, joviale et bon enfant.

Mais attention, tout cela aurait pu être gâché par un élément. Un seul. Appelons-le: le voisin tout pourri.
Le voisin tout pourri peut être une râleuse prétentieuse, un VRP harangueur, une névrosée suicidaire, un bavard sans oreille, un blagueur relou. A Gaillac, le sort m’a gâté puisque je partageais une table, stratégiquement placée de surcroît, avec Alain Leygonie et Angélique Villeneuve, deux personnes hautement recommandables, fines (c’est appréciable), sympathiques (c’est délectable) et peu rétives à la rigolade (c’est essentiel), tendance humour à froid.
J’aimerais aussi vous parler de Sandrine, Frédéric, Pascal, Arni, Brice, Geneviève, Mâkhi, de toutes ces rencontres plus ou moins furtives, qui auront plus ou moins de suite, mais qu’en dire? Qu’en dire sinon que j’ai de la chance d’être leur collègue, de pouvoir échanger avec eux, découvrir leur travail? Bon, je me suis encore ruiné en achetant pas moins de 6 livres mais si ça se trouve, dans 5 ans, le Salon du Livre numérique de Gaillac sera virtuel, des avatars numériques d’auteurs répondant à des visiteurs assis derrière leur clavier par webcam interposée. On signera sur l’écran, comme quand on reçoit un colis.
Et là, je regretterai non pas d’avoir trop dépensé mais de ne pouvoir le faire. Je repenserai alors, la larme à l’œil, à ce tendre bourru d’Alain me tendant sans mot dire son roman, qu’il m’avait dédicacé sans que je lui demande rien, juste parce que je lui avais dit en avoir lu les 30 premières pages et avoir été touché. Je reverrai Pascal m’invitant à sa table pour causer parce qu’il restait une bouteille de rouge à finir. Je pleurnicherai sur le bon temps d’avant, d’avant la libéralisation totale des prix des contenus numériques, d’avant que Jean-François Copé soit président de la République.

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La mission

Pourquoi diable m’ont-ils invité ?
La question m’a traversé lorsque j’ai ouvert l’enveloppe, en juillet, et n’a toujours pas trouvé de réponse. Dedans, un beau carton avec mon nom écrit à la machine, pas une invitation impersonnelle, que j’eus peut-être considérée avec un peu moins de perplexité.
Pourquoi diable m’ont-ils invité ?
Avais-je fait partie de la première présélection, celle dans laquelle on fourre la moitié des romans français à sortir à la rentrée ? Dans ce cas, cela aurait signifié que le jury avait eu entre les mains les épreuves de mon roman, prévu initialement sortir le 23 août dernier, ces épreuves que je n’ai jamais vues (un jour, lassé de les attendre, j’ai appelé mon éditeur pour lui dire qu’on annulait la sortie (ce qui était déjà certainement son intention mais, comme dans une rupture amoureuse, il arrive que celui qui veut partir attende que l’autre prenne la décision (c’est lâche (mais je l’ai déjà fait)))). Peu probable hypothèse. Quelqu’un dans les hautes sphères de la Fédération a-t-il été charmé par un de mes romans ? Fais-je partie sans le savoir des meilleures ventes de la FNAC. Ah, oui, j’ai oublié de vous dire : cette questionnante invitation l’était à assister à la cérémonie de remise du Prix du roman FNAC.
Malgré mes interrogations, mon esprit d’aventurier ne tergiversa pas : fonçons vers l’inconnu et le Théâtre Marigny ! Dans ma position d’auteur confidentiel, il est certes important d’essayer de faire du relationnel mais surtout, je me disais que c’était peut-être une surprise de la part de ces petits cachottiers de la FNAC et qu’en fait, le lauréat, c’était moi. Ou alors qu’ils allaient me remettre un prix hors compétition pour l’ensemble de mon œuvre.

En l’absence de S., j’avais opté pour une cavalière haut-de-gamme, des fois que le prestige de la soirée dépasse mes prévisions. Pas question de me retrouver avec un boulet braillant : « T’as vu là-bas, c’est Patrick Goujon ! je vais lui demander un autographe ! » ou dévorant les amuse-gueule trois par trois en cherchant à faire dédicacer son t-shirt « Bertrand Guillot is God ». La première leçon de la soirée, c’est que S. a beaucoup d’anges-gardiens dans le milieu des lettres. « Comment va S. ? », « S. rentre quand ? » « T’as des nouvelles de S. ? » entendis-je une bonne centaine de fois, tandis que le regard de mon interlocuteur(trice) soit me ratatinait soit toisait méchamment ma cavalière. Une chose est claire : impossible pour moi d’avoir une aventure sexuelle dans le champ littéraire. Je dois oublier ce moyen-là pour lancer ma carrière.
Après avoir trouvé deux places assises dans le théâtre bondé, nous eûmes droit à l’attendue autocélébration de l’organisateur des réjouissances : petits films de propagande et discours du directeur, le tout émaillé de traits d’humour d’un MC que je ne connaissais pas, un certain Laurent Laffitte, c’est pas joli de piquer le nom de Philippe pour profiter de son aura.
Après la présentation des quatre finalistes, puis un magique moment d’émotion et de grâce offert par Émilie Simon en piano-voix, Ariane Ascaride et Bruno Todeschini lurent un (long) extrait de l’un des romans en compétition, La peste et le choléra, de Patrick Deville, ce qui permit à tout le monde de comprendre qui allait gagner et me fit sombrer dans une douce torpeur, pour rester poli – avançons la thèse que l’extrait a été mal choisi.
Ensuite, Delphine de Vigan monta sur scène pour annoncer, ô surprise, que le lauréat était Patrick Deville. Elle raconta une anecdote triviale au lieu de mettre en valeur le winner et lui céda sa place au micro. Deville fit un court discours plutôt rigolo et inattendu – on sent le gentil misanthrope –, qui contrebalança l’impression laissée par la lecture. Alors, le public gagna le foyer, où un cocktail dînatoire l’attendait.
Et là, chapeau! Parce que lorsque le service d’ordre nous renvoya chez nous, à minuit, il restait encore à manger (de délicieux amuse-gueule) et du champagne. Déjà que j’ai pour principe d’éviter de partir d’une fête avant la fin, quand l’open bar suit, vous pouvez être sûr qu’il faudra me désincruster au pied-de-biche. Je ne veux pas balancer, parce que c’est mal, mais David Foenkinos, Hubert Artus (élégant en tabernacle dans son costume de lin crème et radieux de retrouver un OM premier du classement), Bertrand Guillot, Patrick Goujon, Nicolas d’Estienne d’Orves et François Perrin étaient dans le même cas… L’absence de Philippe Jaenada explique peut-être cette non-pénurie d’alcool en fin de soirée – finaude transition.
Mon ours préféré, avec lequel j’avais pris l’apéro un peu plus tôt dans la journée (l’apéro ursidé commence à 16h00 (et on ne boit pas que du miel…)), m’avait chargé d’une mission : embrasser Delphine de Vigan de sa part. J’ai embrassé Émilie Simon, sans oublier de la féliciter, puis ai, après de longues recherches, reconnu dans un petit groupe la femme précédemment montée sur scène pour nous narrer comment un soir, elle s’était retrouvée à la porte de son appartement, les clés restées à l’intérieur, en chaussettes et en pleine nuit. Pourquoi avoir raconté cela ? Parce que c’était après un dîner avec Patrick Deville, étrange manière de rendre hommage tout de même.
Jaenada m’avait décrit une brune aux cheveux bouclés, je me retrouvai devant une blonde aux cheveux raides, dans cette détestable position du gueux face à la reine. Comprenons-nous bien : je ne me suis absolument pas placé dans une situation d’infériorité sociale vis-à-vis de Delphine de Vigan. C’est elle qui, dès mon « bonsoir Delphine », m’a d’un simple regard rabaissé au rang d’amibe, puis écrabouillé d’un « oui ? » poliment dédaigneux, teinté d’un nuage d’agacement. Si je n’avais pas promis à Philou, le regard fier et la main sur le cœur, de remplir coûte que coûte cette mission, j’aurais tac-au-taqué : « non, rien, bonne nuit », voilà qui l’aurait remise à sa place. Peut-être. Mais j’avais une mission, pas question de manquer à ma parole. J’ai donc passé le bonjour de Philippe Jaenada à l’auteur de Rien ne s’oppose à la nuit.
– Ah, ça fait longtemps, lâcha-t-elle.
(Blanc.)
– En tout cas, il va bien, relançai-je, hardi.
(Blanc, sourire raté – rictus plutôt.)
– Et heu… bon ben voilà, il… il vous passe le bonjour et…
– Merci. Vous lui passerez le mien quand vous le verrez.
(Eloignement.)
Ne te demande plus pourquoi tu n’es jamais invité à La grande librairie, Philou, et essaie de te souvenir de ce que tu as bien pu faire pour provoquer tant d’enthousiasme. Et accessoirement me foutre la honte : j’aurais annoncée à ta supposée amie qu’elle avait eu un bout de salade coincé dans les dents pendant tout son speech qu’elle aurait paru plus heureuse.
Pourtant, dès qu’on dit « Philippe Jaenada », en général, les gens sourient, je pense tu es la personne au monde que le plus d’humains trouvent « sympa », loin devant Jean XXIII et Franck Ribéry. Ouais, merci Philou, je te revaudrai ça. D’ailleurs, peut-être que pour me faire pardonner, tu pourrais me pistonner à Voici : t’as lu comme je raconte bien les soirées people ?

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Autoscopie

Il y a les talents purs et les génies précoces.
Ceux que l’on remarque tantôt, les nimbés d’aura, ceux qui ont don.
Il y a les habités, les prédestinés.
Ceux qui ont un nom ou un carnet d’adresses.
Celles dotés de courbes dont on fait les raccourcis, ceux qui d’une moue après un bon mot savent faire fleurir la louange.
Les jubilatoires.
Les beaux parleurs et les missionnaires.
Ceux qui rencontrent la bonne personne, sont au bon endroit au bon moment. Ceux qui ont un parcours incroyable, une féconde névrose, soif de réussite, les crocs acérés ennemis du parquet.
Ceux qui jouent des coudes, s’assoient sur les scrupules.
Il y a les magnétiques, les rythmiques, les oreilles absolues ; les fleur-de-peau, les médiums, les extraordinaires.

Je suis un laborieux.

Et alors ?

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R1 à St Germain, épisode 13 : la délocalisation sylvestre

Je misais sur deux.
Cinq, me disais-je, ce serait vraiment bien. Un succès. La légitimation par le chiffre d’un réveil aussi matinal.
Finalement, j’ai vendu dix-sept exemplaires de Qu’avez-vous fait de moi ? à La Forêt des Livres, soit certainement plus que n’en a commandé en cumulé l’Agitateur Culturel.
Quelle a été la part de la veste que j’étrennais ce jour-là – puisque définitivement elle ne servira pas pour mon mariage (ce qui était sa vocation initiale (pour la mairie)) – dans ma réussite ? Énorme je pense, me confirmant dans la certitude que dans une manifestation littéraire, plus vous vous accoutrez singulièrement, plus on vous prend pour un écrivain (alors que vêtu de la sorte à l’Epsom Derby Day, on m’eût pris pour un lad…).
La veste donc, je ne vois pas d’autre explication, car je ne crois pas avoir bénéficié de l’effet d’aspiration de mon voisin de stand :

Yves et Chucky étaient là tous les deux !

Le public d’Yves (eh oui, on est à tu et à toi tous les deux désormais…) s’est en effet dans l’ensemble assez peu intéressé à moi, sauf pour me demander de me décaler un peu, de me pousser, bref de sortir du cadre, ou alors de faire transiter jusqu’à l’Admiré le support pour l’autographe – remarquable disponibilité de l’Élu, jamais chiche en imitations sollicitées, souriant toujours, dis-po-ni-ble en un mot, un exemple pour tous les wannabe famous.

J’aurais pu davantage espérer recueillir des miettes d’intérêt de la part des inconditionnels de mes voisins de droite, mais ni Marc Lévy ni Alain Mabanckou n’osèrent se montrer à Chanceaux-près-Loches ; si je fais déjà peur à ce point dès mon premier roman, ça promet…
Je peux légitimement, vous en conviendrez, espérer ne devoir ces ventes colossales à personne, seulement à la curiosité de quelques-uns, qu’ils soient ici remerciés pour leur confiance, je n’en reviens toujours pas, et pourvu que je n’en revienne jamais… Fut-ce l’émotion de la première fois qui déforma ma perception de la réalité ? ces dix-sept là me parurent beaux, avenants, souriants et intéressants, au contraire d’autres visiteurs avec lesquels je bavardai également mais que leur frilosité intellectuelle (leur ascendance écossaise ? ou auvergnate ? mais il faut se méfier quand on parle d’auvergnats de nos jours…) me rendit moins sympathiques.

Sinon, j’ai mangé assis à côté de Jean-Jacques Debout, PPDA m’a répondu quand je lui ai parlé (j’avais un message à lui transmettre (je ne peux pas en dire plus, c’était un message personnel)), PIEM se déplace avec difficulté mais le regard pétille en tabernacle !, Hélène Grémillon n’a pas enlevé ses lunettes de soleil quand je suis venu me présenter à elle (parce qu’on est potes, talentueux et à découvrir, de Cultura) et Francis Lalanne existe pour de vrai.

Promis, dès que j’ai terminé le Jérôme Ferrari, bien parti pour entrer dans mon petit cercle de préférés, je me remets à parler de trucs intéressants.

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