La France qui court (à sa perte?)

sarkozy_fillon-joggingA la télévision, en couverture des magazines, ils courent.
Ensemble, séparément, François Fillon et Nicolas Sarkozy courent.
C’est jeune, c’est dynamique, ça vous a une gueule terrible, deux décideurs qui galopent ainsi, entraînant dans leurs sillages ahanants la France qui se lève tôt. On n’est peut-être pas entre de bonnes mains, mais bon pied bon oeil, pour sûr! La preuve: chacun a plus de 60% d’opinions favorables.
Pourtant, n’est-ce pas inquiétant les gens qui courent tout le temps, qui sont pressés, qui vont vite ?
On ne prend plus le temps d’écrire, de choisir le mot adéquat, la tournure idoine, voire de trousser un petit néologisme : on balance des SMS en langage abrégé.
On ne prend plus le temps de lire, on va voir les adaptations au cinéma, on découvre les classiques à la télévision, c’est bien pratique, tous les héros ont les traits de Gérard Depardieu.
On ne prend plus le temps de réfléchir, on préfère les slogans, les inanités sonores à la « travailler plus pour gagner plus » (c’était déjà possible avant Sarkozy 1er, si je ne m’abuse…)
On ne découvre plus le monde, il nous est asséné en version digest par PPDA tous les soirs.

Non, ça ne me rassure pas un chef qui court sans cesse, comme pour échapper à l’introspection, pas plus qu’il ne me rassure lorsqu’il emporte ses dossiers à la plage. A la plage, on lit, on papote, on regarde passer les bikinis en rêvant à un monde meilleur (le lien entre « bikinis » et « monde meilleur » est purement fortuit…) A la plage, monsieur le Président, on prend le temps.

Et l’opposé de la course n’est pas l’inertie (et quand bien même ?…) Il est des mouvements lents, amples, majestueux; il est des tectoniques millimétriques aux effets pourtant spectaculaires; il est des transformations sans agitation, souvent les plus délicates. Un récent premier ministre affirmait : « la France a envie qu’on la prenne. » Faut-il rappeler à nos dirigeants qu’il est d’autres manières de faire l’amour que rapidement et brutalement ?

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Ce monde n’est pas le mien

Pendant qu’au nom du Progrès et de la Compétitivité s’assèchent les nappes phréatiques, se meure la biodiversité, se multiplient dans nos maisons et dans nos assiettes les produits cancérigènes, on s’apprête à élire en France un corporatiste menteur sans foi ni loi, un bandit plus cynique encore que le margoulin précédemment installé à l’Elysée.
Pendant qu’au nom du Naturel et de l’Evident, du Bon Sens et du Cela Va de Soi, le lien social se délite, les individus s’opposent, on affame 1/4 de la planète, des coques rouillées s’éventrent au large des côtes sauvages, la langue française se SMSise, on s’apprête à entériner démocratiquement la loi du plus fort.
Ne me dites pas que vous ne voyez pas le rapport. Ne me dites pas que la victoire des idées portées par M. Sarkozy n’est pas symptomatique d’une société malade, d’un monde en bout de course, d’une humanité qui a touché le fond.

Ouais, mais bon, tu exagères Erwan, il ne faut pas tout mélanger : la guerre en Irak et l’appauvrissement des classes moyennes, l’accroissement du nombre d’obèses et l’ultra libéralisme publicitaire, les profits des multinationales et la hausse des agressions sur les personnes. Et on peut très bien être à la fois vendeur d’armes et patron de presse impartial et équitable, où est le problème?…

Ce monde n’est pas le mien.

Car pendant qu’on ratiocine pour savoir si Mme Royal a été meilleure que M. Sarkozy pendant le débat télévisé, pendant qu’on relève les erreurs de chiffres de l’un et de l’autre, pendant qu’on explique par les mécanismes normaux du jeu politique la lamentable trahison (vous voyez un autre mot ?) des députés UDF, des juges sont empêchées de perquisitionner à l’Élysée et M. Chirac se prépare une retraite paisible à l’ombre d’une amnistie programmée.
Pendant que des électeurs de gauche et d’extrême-gauche crachent sur leurs idéaux humanistes en organisant leur week-end à la pêche ou en passant au Kärcher leur bulletin de vote, la vie politique se balkanyse.

Ce monde n’est pas le mien.

Et pourtant… Pourtant je suis persuadé qu’il faut continuer à gueuler, même dans le vide, qu’il faut continuer à écrire pour faire changer le monde, qu’il faut continuer à se sourire pour faire reculer l’irrespect.

Quel rapport avec mon blog, me demanderez-vous ? Si j’avais renoncé à mes principes, peut-être ne serais-je pas un auteur raté.

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Le paradigme Olivia Ruiz

« Bien sûr, j’ai eu le sentiment de me pervertir en faisant ça » dit Olivia Ruiz à propos de la Star Academy, tout en racontant à longueur d’interview combien son passage dans cette émission l’a desservie. Car Olivia n’est pas un produit de la télé réalité, elle est rebelle, elle a des choses à dire. Et au moment où on commençait à la croire, à trouver courageux la manière dont elle s’est battue pour se débarrasser d’une supposée étiquette en forme de code-barre, qui voit-on vanter à longueur de couloirs de métro Coca-Cola Light ? La même petite victime de la société de consommation et de loisir, tout sourire.
Alors soit Mlle Ruiz est masochiste, ce qui n’est pas un défaut – une névrose au pire -, soit elle est dangereusement paradoxale.
Dangereusement en ce qu’elle est le reflet d’une certaine jeunesse en manque de principes, capable d’idolâtrer Nicolas Hulot tout en roulant en 4×4 et en installant des convecteurs électriques, capable de prendre position pour les sans-papiers tout en faisant ses courses en grande surface (qui pressurent honteusement leurs salariés les plus précaires, faut-il le rappeler), capable de défendre le commerce équitable au cours de dîners bobos aux Abbesses tout en se vendant à Coca-Cola.

RuizCette génération semble incapable de relier les faits entre eux, d’établir des liens de cause à effet, de comprendre, en un mot, que tout est lié et que nous avons chacun un devoir d’exemplarité en mettant en accord nos discours et le moindre des actes de notre vie quotidienne. Il est facile de brocarder Jacques Chirac se posant en héraut de la justice, alors qu’il est de notoriété publique que l’homme est un margoulin de classe mondiale ; mais nul ne peut s’arroger ce droit s’il n’est exempt de tout reproche. Si vous téléchargez illégalement de la musique, si vous faites jouer vos relations pour ne pas payer un PV, si vous mentez sur votre déclaration de revenus, vous êtes à classer dans la même catégorie que notre futur ex-président. D’ailleurs, le fait que Nicolas Sarkozy ait profité de sa position de maire de Neuilly pour faire de la spéculation immobilière ne semble pas émouvoir grand monde au pays de Robespierre et Saint-Just, alors qu’il me semble que ce monsieur devrait d’office être inéligible.

« Chaque jour sur terre, les hommes s’assument de moins en moins
Que peuvent-ils encore faire pour mieux éclairer nos destins
Leurs desseins sont clairs, c’est le billet vert, la bourse des vauriens
Et le monde des affaires, qui chaque jour s’affaire, les autres ça fait rien
» chante Olivia Ruiz dans Qui sommes-nous ?, avant de demander en fin de refrain « Qu’attendons-nous ? »

On attend que vous nous montriez la voie, Olivia. C’est en partie le rôle d’un artiste (cf Albert Camus, L’homme révolté)
Non ?

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Auteur raté vs auteur maudit

Un des pires affronts que puisse subir l’auteur raté, c’est d’être pris pour un auteur maudit.
Non, non et cent fois non ! L’auteur raté est à l’auteur maudit ce que le pasteur protestant est au moine chartreux.
L’auteur maudit l’est par le monde, qui ne comprend pas son génie. L’auteur raté l’est par sa faute, incapable de vivre de sa vocation.
L’auteur maudit écrit pour la postérité quand l’auteur raté accepterait d’écrire pour un magazine sportif. Parce que l’auteur raté se dit que le magazine sportif sera un tremplin, lui permettra de faire connaître l’agilité de sa plume et l’habileté de sa pensée. L’auteur maudit, lui, méprise le football et ce sera lesEditions de Minuit ou rien (si Verticales appelle, on peut quand même discuter…)
L’auteur raté est même prêt à écrire pour la télévision – il a quelques projets de série dans ses tiroirs – alors que l’auteur maudit à cassé son vieux poste en y jetant son verre d’absinthe après trois pages du dernier Florian Zeller…
L’auteur raté écrit mieux que Florian Zeller.
L’auteur maudit est plus beau.

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Qu’est-ce qu’un auteur raté ?

Un auteur raté n’est pas un mauvais auteur.
Un auteur raté a, sinon du talent, du moins un peu de savoir-faire; on lui reconnaît quelques qualités d’écriture.
La plupart du temps, l’auteur raté a même obtenu de petits succès d’estime, quelques encouragements de gens « du milieu », parfois haut placés. Ces gratifications vont de la place d’honneur lors d’un concours provincial de jeune écrivain à la collaboration, gracieuse, à l’écriture d’une série TV à laquelle les producteurs renoncent finalement, pour d’obscurs motifs et sans que l’auteur raté l’apprenne directement.
Parfois, l’auteur raté a réussi à placer une chanson auprès d’une star ratée (i.e. un(e) interprète qui n’a jamais été invité(e) à chanter à la Starac’ ni à décorer chez Fogiel). Ces réussites mineures sont autant d’encouragements à continuer, à ne pas baisser les bras, à se battre. Elles empêchent l’auteur raté de devenir un auteur maudit, un auteur aigri, voire un auteur suicidé.
Un auteur raté est donc un auteur qui ne réussit pas à vivre de son écriture. Ce qui induit qu’il essaye. Un auteur raté a quelques contacts qui pourraient le faire travailler, ou qui connaissent quelqu’un qui pourrait le faire travailler. Peut-être l’auteur raté ne sait-il pas faire fructifier ces connexions…
En résumé, l’auteur raté n’a jamais été publié ni édité, est inscrit à la SACEM, leur coûte plus (en timbres) qu’il ne leur rapporte, doit refuser poliment quand la SACD lui propose de prélever le montant de son adhésion sur ses droits d’auteur à venir (il n’y en n’a pas), et se psalmodie quotidiennement que Jean Rouaud à obtenu le prix Goncourt avec un manuscrit envoyé par la poste alors qu’il était kiosquier.

Des questions ?…

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Pourquoi le « blog d’un auteur raté » ?

J’ai échoué.
Je ne peux plus me mentir, je ne dois plus me cacher, j’ai échoué.
Depuis que je sais écrire, j’écris. Ne riez pas, ce n’est pas le cas de tout le monde. J’écris des histoires, qui sont devenues des pièces de théâtre, des romans, des scénarii pour le cinéma ou la télévision.
J’écris des textes que je relis sans relâche, que je patine. Je griffonne sans arrêt, je rature, je reprends. J’écris la nuit ou le week-end parce que je travaille par ailleurs – nous y reviendrons -, j’écris parce que j’ai des choses à dire, à transmettre, à partager, parce que je veux changer le monde, parce que les livres sont la mémoire de l’humanité, parce que je le dois.
Très tôt, j’ai voulu en faire mon métier.
Et j’ai échoué.
Comme tant d’autres me direz-vous. Oui. Mais si le monde s’intéresse beaucoup, à tort ou à raison, aux écrivains qui ont réussi, que sait-on des écrivains ratés ? Que sait-on de leur quotidien, des lambeaux d’illusions qu’il leur reste ?
Rien.
Et il est temps de réparer cette injustice.

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