Bon, alors, on le change, ce monde?

Je suis fatigué. Fatigué des stratégies électorales, fatigué du vote utile, fatigué des anathèmes lancés contre tel ex-camarade ou tel ami de vingt ans, fatigué des soi-disant boules puantes, des ralliements, des vestes retournées, des virginités qu’on s’achète, de l’amnésie collective, des lynchages en moins de 140 signes, des petites phrases et des gros mots.
Je suis fatigué que des gens qui se disent de gauche aient même l’idée d’aller voter à une primaire de la droite, fatigué que des gens qui s’affirment de droite acceptent d’entrer dans un gouvernement qui se prétend de gauche, fatigué des pseudo-analyses des chiens de garde médiatiques, fatigué du faites-ce-que-je-dis-faites-pas-ce-que-je-fais, des sourires vils et des promesses de campagne, du vite-fait, des raccourcis, du bashing, des bons mots, du j’ai-les-chiffres, du troud’lasécu et de la dette, du PNB et du commerce extérieur, des charges sociales qui sont des cotisations.

Je suis fatigué du cynisme.

Au-delà des candidats à l’élection présidentielle que nous trouvons sympathiques et de ceux qui nous débectent, par-delà ce que nous croyons savoir d’eux et leur image médiatique, et si nous lisions les programmes, pour découvrir les valeurs qui les sous-tendent? Ce qui se joue, c’est le vivre-ensemble. On ne peut pas y échapper : nous sommes des citoyens, et l’individu n’existe pas sans les autres, ses voisins, ses semblables – ses frères? Nous sommes des animaux sociaux, que nous le voulions ou non, et tout cela doit s’organiser – c’est cela, le politique.
Or la seule question qui vaille est: sur quelles valeurs voulons-nous faire société ?
Concrètement, si ceux que j’aime ou moi nous retrouvions en situation de faiblesse (chômage, maladie, etc.), ou de danger, comment voudrais-je que l’État réagisse ? Concrètement, dans quel environnement ai-je envie que mes semblables, mes frères, mes enfants, mes voisins et moi vivions? Je n’insiste pas, vous m’avez compris. Les valeurs. Pas les opinions, les préférences, les avis, l’air du temps: les valeurs.
C’est en âme et conscience que nous devrons voter. Oublions les calculs d’appareils, le panurgisme partisan, le délit de sale gueule ; posons-nous avec un verre de bon vin (ou un jus de carottes, hein, chacun ses goûts), prenons le temps de réfléchir (introspection, qu’ils appellent ça parfois), de nous documenter, de nous questionner, de comparer, de discuter, d’échanger, de sortir de nos ornières mentales et, loin du brouhaha des écrans, décidons entre les visions du monde, de l’humain, du collectif qui nous sont proposées. Décidons en face-à-face avec nous-mêmes mais en pensant généreux, altruiste, collectif. Parce qu’on n’est rien sans nos voisins. Parce qu’un jour on pourrait être l’autre – le déclassé, l’immigré, le handicapé, le stigmatisé, le montré-du-doigt, l’exploité, le soupçonné, le pas-comme-il-faut, le louche (pas Claude ni Gilles, j’espère), celui qui ne rentre pas dans les cases, le bouc-émissaire.
Et surtout parce que nous sommes, chacun de nous, une partie de la solution — c’est le sens de l’adjectif « représentative » qu’on accole à notre démocratie.

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Possibilité de la mise en scène de soi

J’ai pris la décision de m’inscrire sur Instagram. Parce que c’est le réseau social des jeunes paraît-il, or c’est super, ça, les jeunes, et moi je ne voudrais pas vieillir trop vite, il faut vivre avec son temps, ne pas passer à côté ni s’encroûter, suivre le monde en marche sous peine d’être dépassé, de devenir conservateur, voire réactionnaire, et pourquoi pas le retour de la bougie, d’Alain Juppé et du Minitel tant qu’on y est? Non non non, Instagram nous voilà, le Progrès en marche, pas question de rester sur la touche!
J’ai pris la décision de m’inscrire sur Instagram surtout parce que l’aimée y poste de temps en temps des photos, plus que sur Facebook (où la jeunesse prépare beaucoup moins l’avenir radieux que sur Instagram, si, si, les études le disent), ainsi je pourrai cliquer sur des cœurs sous ses photos et poster des commentaires fins et subtils, pleins d’esprit, ainsi nous ne nous en aimerons que plus, ah la belle perspective que voilà!
Alors bon, c’est très facile de s’inscrire sur Instagram, je ne développe pas. Par contre j’ai passé une bonne demi-heure à essayer de poster mes photos, ces jolies photos de moi, de moi tout seul, moi avec mes amis, moi dans un salon du livre, moi corrigeant mes manuscrits, moi avec des livres lus, moi avec des vieilles pierres et des vieilles poutres, moi poète maudit, moi avec une clope, un verre de vin, moi et Marguerite.
Une bonne demi-heure de perdue, car je n’y suis point parvenu, à poster ces remarquables photos de moi sélectionnées avec soin pour donner envie, pour ne pas vieillir, pour rester désirable, pour vendre des livres et récolter des fonds pour les vieilles pierres et les vieilles poutres.
Mais comme je suis malin comme un geek, je suis allé sur la Toile magique où gît toute vérité, qui recèle toutes solutions, qui soigne même les cors au pied et fait la cuisine, et j’ai cherché. Sur des sites, sur des forums, j’ai cherché. Et j’ai trouvé, bien sûr, je suis malin si vous avez bien suivi.
Eh bien figurez-vous qu’on ne peut pas sur Instagram poster de photos, ni de moi ni de quiconque, depuis un ordinateur. Interdit. Verboten.
Non, on ne peut poster sur Instagram des photos que depuis un téléphone portable, grâce à une application.
Ah ah, ça vous en bouche un coin, non?
Or je me refuse à connecter mon téléphone portable à l’Internet.
J’ai donc un compte Instagram sans photos, ce qui finalement me paraît le comble de l’avant-gardisme cool.

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Doigt dans l’œil, pas dans le nez

carte2Je me disais ça va être fastoche, en faisant des calculs comme 1’200 amis Facebook multiplié par 10€. Je me disais, naïf, qu’en plus il y aurait certainement un effet démultiplicateur avec les amis de mes amis, les amis de la famille, la famille des amis.
Ouais, pour tout dire, je la voyais assez tranquille cette levée de fonds, du moins pour atteindre les 15’000€ nécessaires pour boucler le financement de la première tranche de travaux. Mon satané optimisme m’aurait-il encore joué des tours ?
Alors forcément, je me questionne. Je me demande si mon projet est si excitant que cela pour qui ne le porte pas. C’est vrai, j’y consacre du temps, de l’énergie, mes maigres ressources parce que j’aime les vieilles pierres et les lieux ouverts, où l’on sait qu’on sera toujours le bienvenu. Mais vu de l’extérieur ? Et dans un monde où chacun doit d’abord penser à sa propre survie ? Dans un monde où la plupart de mes amis sont, comme moi, de plus en plus précaires ?
Je me demande aussi si je communique bien, de manière claire, si je parviens à rendre contagieux mon enthousiasme. Alors je deviens fou : j’aurais plutôt dû faire un site, mettre en avant telle information plutôt qu’une autre, donner plus de dates, de chiffres, ne pas inonder mon mur Facebook de photos, être plus drôle…
Et puis c’est vrai aussi, comme me le rappelle justement une amie, que le projet peut être intimidant : de gros travaux très coûteux, la Fondation du Patrimoine, on se dit peut-être qu’il faut donner beaucoup ou rien. alors on n’ose pas participer de 10 ou 20€…
Je me disais que ça allait être fingers in the nose, cette levée de fonds, surtout avec le petit plus de la défiscalisation des dons. Et puis non, c’est compliqué, il faut être patient (pas mon point fort), s’asseoir sur son amour-propre, ne pas baisser les bras. La réussite n’en sera que plus savoureuse, me dis-je. Satané optimisme.

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Too much ?

MJe ne voulais pas avoir à me justifier, à expliquer.
Je ne voulais pas parce que j’ai a priori confiance en la sensibilité et en l’intelligence (surtout en celle que l’on appelle par commodité « du cœur ») de mes semblables.
Mais il a suffi d’un message, même pas agressif pourtant, pour que le doute lève.
Un message qui sous-entend que ma démarche de faire appel au financement participatif pour mon projet serait un peu déplacée, voire malséante, car celui-ci serait « personnel ». Comme si je demandais aux gens de financer ma résidence secondaire, en quelque sorte.
Alors j’ai réfléchi, employant une technique éprouvée en pareil cas : si j’avais reçu un des messages que j’ai envoyés, l’aurais-je trouvé déplacé ou sans-gêne ? Choquant?
Eh bien non. Au contraire. Cela m’est d’ailleurs arrivé pour un projet un peu cousin, dans le sud de la France – transformer un bistrot de village en bar à vins et librairie (avec des lectures, des soirées thématiques, des dégustations) – et j’ai donné sans hésiter, et sans même connaître les demandeurs (des amis d’amis sur Facebook). Parce que je trouvais le projet généreux, excitant, bienveillant ; et pas une seconde je n’ai pensé que je finançais des créations de poste.
Par contre, je me suis dit, en réfléchissant à ce message négatif, que peut-être, dans un monde de zapping, où une information chasse l’autre, où nous sommes sans cesse sollicités, que les récepteurs de mon message n’avaient peut-être pas tous pris le temps de découvrir le projet dans sa globalité, avec ses implications. Ou n’en avaient pas eu envie.
Alors tant pis, même si je ne voulais pas, je vais essayer d’éclairer ma démarche.

Je me suis lancé depuis deux ans et demi dans un dessein un peu démesuré, qui risque de m’occuper jusqu’à la fin de mes jours : restaurer un vieux logis médiéval à l’abandon au cœur d’une petite ville du Poitou, avec pour finalité d’y résider et d’y accueillir des confrères écrivains en quête d’un lieu quiet pour travailler. J’ambitionne également d’y organiser des rencontres, des échanges autour de la littérature, en plus de ces résidences.
Je rêve d’un tel lieu depuis une vingtaine d’années. Avec mes amis Jean-Louis et Jean-Mi, tout frais vingtenaires, nous avons cherché un lieu à Lyon pour y créer une salle de spectacle-bar-lieu de création artistique et d’exposition. Puis, une décennie plus tard, à Tours, je travaillai plus d’un an sur un projet semblable autour d’un vieux bâtiment abandonné du centre-ville – il capota à cause de l’avarice de la propriétaire et de son indifférence crasse toute forme de création artistique.
Et puis à l’automne 2012, je suis tombé amoureux d’une ruine poitevine du XVe siècle. (Il me faut vous dire que dès que je vois une ferme abandonnée au bord de l’autoroute, les larmes me montent aux yeux; alors un château ou un manoir, imaginez…)
La première tranche de travaux de réhabilitation du Logis du Musicien va commencer fin avril, après de longs mois d’études, de réflexions, de discussions avec des artisans formidables (Dominique, Eddy, Francis, soyez ici remerciés), mon architecte (Martine Ramat), avec les services du patrimoine de la DRAC Poitou-Charentes, la conservation régionale des monuments historiques (CRMH) et les services territoriaux de l’architecture et du patrimoine (STAP). Le budget total est important – la seule première tranche coûtera 120’000€.
Le bâtiment étant inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques (ISMH), j’ai pu déposer une demande de subvention auprès de la DRAC, qui a été acceptée. De même, la Fondation du Patrimoine a jugé recevable mon dossier, et le projet peut bénéficier de dons défiscalisables de la part de particuliers et d’entreprises.
J’ai donc entrepris une campagne d’information auprès de mes contacts, plus ou moins proches. Cela m’a coûté, je vous prie de le croire. Je suis un garçon lesté d’une bonne dose d’orgueil et je déteste demander des services. Mais je l’ai fait, d’une part parce que je n’oblige personne à participer, d’autre part parce que ce projet me dépasse. Comme mes romans, il est plus important que moi, au-delà de moi petit pou périssable et imparfait. Il mérite donc, à mes yeux, que je mette un mouchoir, un torchon et un drap sur mon amour-propre.
Pour cette dernière raison, je ne peux accepter de lire que je demande de l’argent pour un projet personnel, d’autant que l’argent, pour le coup personnel, que j’y ai investi m’oblige par ailleurs à des sacrifices, et à vivre dans des conditions assez peu confortables (mais bon, c’est mon problème, je suis d’accord, je ne demande à personne de me plaindre).
Parce qu’il s’agit d’un édifice remarquable tout d’abord. À ce titre, il appartient au patrimoine bâti national (et même de l’humanité, hein, mais je ne veux pas sonner trop grandiloquent) – je renvoie ceux que cela intéresse à l’histoire de ce village poitevin, Mirebeau. Je fais partie de ceux qui ronchonnent contre les lotissements atroces en périphérie des villes, contre les zones pavillonnaires, contre Catherine Mamet. Parce que c’est laid. Parce que c’est construit n’importe comment. Parce que c’est périssable, interchangeable, déprimant. On ne trouvera personne pour juger Brest plus belle que Tours, Saint-Cirq-Lapopie plus réjouissante qu’Issoudun. J’estime qu’il est de notre devoir, à chacun et à tous réunis en nation (je suis partisan du droit du sol, n’allez pas vous faire des idées), de mettre en valeur et préserver les trésors architecturaux des siècles antérieur. C’est notre passé, donc c’est notre présent et notre avenir. Cette maison me survivra, je la transmettrai aux générations suivantes riche de sa beauté retrouvée, de sa dignité ai-je envie d’écrire.
La seconde raison pour laquelle il me semble que ma démarche n’est pas purement égoïste, c’est que je veux faire de ce Logis du Musicien un lieu d’accueil et de partage, de rencontres. Un lieu ouvert. (Je radote.) J’y investis mon temps, mon énergie, le peu d’argent que je gagne aussi, pour qu’un jour des confrères puissent venir y écrire un roman, y mettre une pièce de théâtre en espace, y échanger avec d’autres auteurs et du public. J’ai l’impression que plus il existera de tels lieux, mieux la société se portera.
Alors oui, j’ai envie de promouvoir mon projet. Oui, j’en parle beaucoup. Trop? Peut-être. Et peut-être de manière maladroite. Est-ce plus condamnable que de faire du crowdfunding pour enregistrer son album, sauver sa librairie ou monter un bar littéraire dans un petit village ?
Peut-être que, emporté par mon enthousiasme et mon envie, mes publications récurrentes polluent certains fils d’actualités sur Facebook. Mais que je sache, chacun peut se désabonner d’un fil d’actualités, supprimer un ami virtuel de sa liste ; chacun est libre de préférer voir des chats, des petits plats mitonnés ou des selfies. Chacun est libre d’ignorer un courriel envoyé à plusieurs destinataires pour un projet dont il ne se sent pas proche. Je ne juge pas mes amis à l’aune de leur don – d’ailleurs j’ignore l’identité des donateurs. Par contre, j’ai reçu de la part de certains amis (virtuels ou non), ou d’amis d’amis, des messages sublimes, des encouragements, des propositions de coup de main.
Pour moi, c’est déjà la preuve, n’en déplaise aux grincheux (et j’ai aussi des amis grincheux (et il m’arrive même de l’être…)) que ce projet est un succès.

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J’écris pour ça.

Hier, j’ai reçu ce courriel d’un lecteur, qui m’a autorisé à le reproduire. Il s’appelle Luc Blanvillain, et je le remercie. Parce que grâce à lui, toute trace d’aigreur à déserté mes synapses, grâce à lui je sais que je vais continuer à écrire – et affirmer cela n’est pas faire injure à ceux qui m’ont déjà dit ou écrit de jolies choses sur Entre toutes les femmes (coucou Bertrand, Nathalie, Hélène, Keisha, Julia…), les mots de Luc viennent simplement fixer une fois pour toutes, comme une couche de vernis, les effets bienfaisants des leurs.

Votre livre m’a beaucoup plu. Les symptômes sont indiscutables : addiction, rêves tourmentés après l’avoir posé sur ma table de nuit, supputations incessantes sur la suite, multiplication des cornes, au fil des pages, retours en arrière, relectures. Et, malgré ces allers et retours, je l’ai avalé en quelques jours.
J’ai aimé, d’abord (je glisse un « d’abord » pour créer un effet de structure. Ensuite, j’empilerai des remarques décousues, bien que cette métaphore manque de cohérence) ne pas du tout savoir où vous me meniez. Impossible de prévoir ce que serait ce récit. Politique-fiction, sociologie-fiction, sexe-fiction, fiction-fiction. Vous nous baladez avec bonheur entre les genres, sans jamais nous lâcher, sans esbroufe non plus. Après coup, toutes les bifurcations apparaissent nécessaires. Les personnages existent, surtout Marco, Igor, Hanni et, bien sûr Cybèle. Et Gabrielle ? Oui. Mais je l’ai un peu moins aimée, elle s’énerve tout le temps. A juste titre, sans doute, mais tout de même. J’ai retrouvé un plaisir ancien, celui du lecteur de Métal Hurlant, que je fus avant la Grande Catastrophe de l’âge adulte. Pourquoi Métal Hurlant ? Je ne sais pas. Votre récit a un côté vintage 80’s et, à mes yeux, c’est un vrai compliment. La silhouette de cet empereur psychopathe m’a rappelé certains dessins de Moebius.
Ensuite (oui), bien sûr, la truculence lexicale, le grouillement de mots rares et précieux et sonores, une jubilation flaubertienne, époque Salammbô (celle de sa collaboration avec Druillet), les images très charnelles, bouchères parfois, toujours sensibles. Le réalisme des sentiments naît, étrangement, de la démesure de l’intrigue, des décors, des figures. On est (j’étais) dans un cauchemar verbal. Des créatures monstrueuses, en perpétuelle métamorphose, en qui l’on (je) se reconnaît/s.
Cauchemar, oui. Ce roman m’a beaucoup angoissé. Il pointe toutes nos terreurs. Les passages d’analyse politique sont incisifs, précis, affolants. Personnellement, je partage la prétendue naïveté d’Arsène-Cybèle. Le regard porté sur notre monde me semble impitoyablement juste. Vous faites sentir la fragilité des fausses évidences qui nous façonnent. Fragilité aussi de la liberté, viscosité de l’aliénation consentie, lâchetés déprimantes.
J’ai bien apprécié les clins d’œil, les noms glissés dans la trame, les appels à une connivence fraternelle, qui me consolait un peu de la noirceur apocalyptique de l’histoire. Vous aimez Jaenada ? J’ai adoré Le cosmonaute. Avez-vous pensé à La Carte et le territoire, en apparaissant comme personnage dans votre histoire ?
Et, bien sûr, bien sûr, ce qui reste, et qui retentit longtemps, c’est une voix. La vôtre. Très originale, très personnelle, très libre. Revigorante et roborative. Par rapport, oserai-je le dire, à beaucoup d’auteurs français du roman, d’écritures soi-disant blanches. Aphones.
Merci pour ces très beaux moments.

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Les mauvaises feuilles (2)

Couv_ETLF_smallEntre toutes les femmes, mon quatrième roman, sortira le 8 janvier 2015.
En attendant, je vous propose en avant-première mondiale de lire non pas, comme les magazines le proposent pour les best-sellers annoncés, les bonnes feuilles, mais des extraits qui ont été coupés à la relecture. Les mauvaises feuilles.

Comment ça, « c’est pas très vendeur » ?…

*

Mais si elle a réussi à châtrer ses émotions, jamais elle n’a pu juguler son empathie pour ses semblables. Après tout, l’agueusique a besoin de se nourrir, lui aussi.
Qu’attendent-ils d’elle, ces fichus nimaliens ? Qu’elle dise leur texte, comme une vulgaire interprète ? Pas question. Et pas question non plus d’œuvrer avec eux à la rédaction mensongère d’une hagiographie. En premier lieu parce qu’elle travaille seule. Non négociable. Mais pour raconter quoi ?
Irritée, elle va chercher sur une étagère ses romans des deux plus grands auteurs à peu près contemporains de Nimale (selon le Darcos et Lefebvre, qui fait référence depuis des siècles), Florian Zeller et Nicolas Fargues. Elle les pose au pied de son lit. S’y trouvent le Beigbeder et le Houellbecq qu’elle a pris à la bibliothèque le matin même. Elle sourit en se rappelant la mort absurde de ces deux-là, lors de la même soirée de débauche après le Goncourt du premier, assassinés par une escort-girl qui ne jurait que par David Foenkinos, battu ce jour-là pour la cinquième fois, d’une voix (celle de Yann Moix, se murmurait-il).
En juxtaposant les toiles de fond de ces ouvrages, elle se replongerait dans la France des premières décennies du XXIe siècle, même si elle préférait à ces quatre auteurs qui avaient traversé les siècles d’autres de la même période, tombés complètement dans l’oubli, ou des plus anciens encore, qui n’avaient pas non plus laissé leur nom à la postérité, comme Dostoïevski, Yourcenar ou Tournier.

Comme chaque fois qu’elle veut s’échapper quelques instants d’une réunion, Gabrielle se concentre sur la plaque émaillée vieille d’au moins 450 ans qui orne l’un des murs du local. « Louis-Blanc », peut-on y lire. Le nom d’une station de métro, du temps où on se déplaçait sous terre dans Capitale. Avant la Grande Catastrophe. Cette station avait été rebaptisée « Nicolas-Sarkozy » quelques années avant qu’Arsène Nimale n’arrive au pouvoir, comme « Louise-Michel » était devenue « Charles-Maurras ». À partir du Ier siècle avant GC, apprend-on à l’école, le peuple a rejeté en masse le gauchisme et ses utopies ; nombre de lieux publics ont alors été débaptisés. Vivre sous un régime impérial où le pouvoir se transmet de père en fils dispense aujourd’hui les Gaulois de ces querelles politiques stériles dans lesquelles leurs ancêtres français se complaisaient.

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Les mauvaises feuilles (1)

Couv_ETLF_smallEntre toutes les femmes, mon quatrième roman, sortira le 8 janvier 2015.
En attendant, je vous propose en avant-première mondiale de lire non pas, comme les magazines le proposent pour les best-sellers annoncés, les bonnes feuilles, mais des extraits qui ont été coupés à la relecture. Les mauvaises feuilles.

Comment ça, « c’est pas très vendeur » ?…

*

L’explication lui apparaît le soir même, pendant qu’il regarde un match de football avec Aura et Jim. Le commentateur loue la personnalité d’un joueur qui ressort du collectif précisément parce qu’il permet à celui-ci d’être efficace. Tout en étant singulier, ce joueur n’est que le onzième d’un tout qui sans lui aurait été moins équilibré ; il n’est pas aussi brillant que la star de son équipe – qui fait se lever la foule par ses gestes techniques, certes, mais ceux-ci ne débouchent sur aucun bénéfice collectif. Dans l’équipe adverse, aucun joueur ne ressort. Les commentateurs parlent d’un bloc discipliné, sans génie, dans lequel les remplaçants se fondent anonymement lorsqu’ils entrent en jeu. L’un d’eux est interviewé à la fin du match. Il lui est demandé s’il n’est pas frustrant pour lui de jouer à un poste qui n’est pas le sien, ce qui l’empêche d’exprimer ses qualités individuelles. Il répond d’un air résigné que ce sont les choix du coach et qu’il est au service de l’équipe.
– Quel joueur préférerais-tu être, Aura ? demande Arsène une fois l’écran éteint. Le génie admiré de tous, le chef d’orchestre discret reconnu par ses pairs ou celui qui se plie à la discipline collective jusqu’à renier ses qualités propres?
– Le chef d’orchestre, répond-elle sans hésitation.
– Mais 90% des gens répondraient le génie, non ?
– Au moins, oui.
– Pourquoi ?
– Ah non, Arsène, on ne pourquoite pas ce soir !
– Moi je choisirais le génie, affirme Jim en revenant avec le dessert et une bouteille de vin. Parce qu’il gagne plus de blé et qu’il a toutes les filles à ses pieds.
– Mais il est jalousé, voire détesté, le contre Aura. Il ne saura jamais qui sont ses vrais amis.
– Tu crois que le bon petit soldat, il est plus heureux ? Il fait ce qu’on lui dit de faire, il n’a aucune liberté, il n’est qu’un parmi d’autres. Une vie pourrie de mouton, voilà ce qu’il a !
Le plop ! du bouchon extirpé du goulot ponctue la tirade de Jim. Arsène semble réfléchir à voix haute lorsqu’il reprend :
– Une équipe dans laquelle il n’y aurait que des solistes jouant pour être applaudis serait aussi peu épanouissante pour chacun des joueurs, qui se battraient alors entre eux pour le ballon, qu’une équipe où il n’y aurait que des exécutants dociles brimés dans leur créativité individuelle. Au contraire, une équipe dans laquelle chaque joueur serait heureux, c’est une équipe où l’on prendrait à la fois en compte leur envie de jouer au football, donc ensemble, et leurs qualités propres de footballeur.
– Tu veux devenir entraîneur ? ironise Jim.
– Ça s’appelle une métaphore, fait Aura. Je crois que je vois où tu veux en venir, Arsène. Mais comment rends-tu cela…
– … ifféragable ? complète Jim. C’était ça la question ?

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T’es sur la liste ?

Voilà, des listes commencent à fleurir un peu partout répertoriant les quelques romans qu’il ne faudra surtout pas manquer en janvier, ami lecteur.
Et forcément, soyons franc, ne pas y trouver Entre toutes les femmes plombe un peu le moral, pendant une bonne dizaine de minutes.
J’ai envie de savoir comment elles sont dressées, ces listes, par qui, si les listeurs ont lu tous les romans qui vont sortir en janvier. J’ai envie de savoir mais quelle importance après tout?
Certes, je trouve ça un peu injuste. Pas de ne point y figurer, mais qu’avec des collègues qui sans doute comme moi ont bossé comme des chiens, nous soyons relégués dans une sorte de no (ro)man’s land, des limbes d’où ils sera très difficile de s’extraire pour que soit aperçu, puis peut-être partagé, notre travail, dans lequel nous avons mis notre temps, notre énergie, notre savoir-faire, notre humanité aussi. Ces sélections sont arbitraires, cruelles, du spectacle et de la marchandisation. A quoi bon le brailler? C’est la règle du jeu, nous le savons tous, un jeu à élimination directe qui n’a que peu à voir avec la qualité – même s’il ne l’exclut pas.
Oui, lorsqu’on est publié, on sait que notre roman sera préjugé, que quelques-uns disposent du pouvoir inouï d’anéantir (c’est le mot juste) des mois et des mois de labeur. Donc il nous faut encaisser stoïquement et dignement la violence de cette exclusion. Surmonter la déception si déception il y a (le mieux pour ne pas être déçu, c’est de ne s’attendre à rien).
Et finalement, ce n’est pas si difficile.
Parce que chacun de nous, laissés dans l’ombre ou minorité distinguée, sait pourquoi il a passé des milliers d’heures sur son texte. Parce que chacun de nous, qui marquerons ou pas la rentrée de janvier (critère de sélection du Grand Prix RTL-Lire), sait à quoi s’en tenir sur les qualités et défauts de son roman. Et parce que peu d’entre nous je l’espère, sur les listes ou pas, écrivent pour la gloire ou pour l’argent.
Ce qui m’importe? Savoir si j’ai bien travaillé. Si j’ai été honnête vis à vis de l’idée que je me fais de la littérature – oui, les grands mots, désolé. Mon juge ultime n’est pas un chroniqueur littéraire mais un truc transcendant qui se moque des listes, des prix et des bandeaux rouges, même si  l’humain moyennement humble que je suis doit lui se battre un peu.
Mais ce n’est pas si difficile. Je vous vois guetter à la porte, jalousie, aigreur et cynisme. Je ne vous laisserai pas entrer. Je vous aussi, colère et aquoibonisme, qui poussez derrière. Vous ne franchirez pas non plus le seuil. Je suis heureux et en paix parce que je crois que j’ai bien travaillé; savoir si cela a généré un bon roman est une autre question, à laquelle aucune sélection médiatique ne répondra à mes yeux.
Et puis il y a les libraires, les lecteurs, le temps qui fait son œuvre, les journalistes curieux, les blogueurs passionnés.

Voici que fleurissent les listes sur les romans qu’il ne faudra pas manquer en janvier. Je suis certain que dans le lot, nous en trouverons qui ennoblissent.

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Un auteur low cost ?

Couv_ETLF_smallUne autre manière de choisir vos lectures de la rentrée de janvier 2015 pourrait être de comparer ce que vous achèterez pour 1€ dépensé.
Tel un Huggy postmoderne jamais avare de bon tuyaux, je suis à même, après de savants calculs, de vous dévoiler que pour 1€, vous aurez droit à :
11,31 pages de Laurent Gaudé
13,47 pages de Romain Puertolas
13,66 pages d’Olivier Rolin
15,23 pages de Michel Houellebecq
20,10 pages de Virginie Despentes
Et… 23,12 pages d’Erwan Larher
Vous pouvez rapprocher ces chiffres des 15,57 pages par € du dernier prix Goncourt, et moduler pour affiner vos choix ces rapports quantité/prix par le nombre de signes par page, mais surtout par le facteur « qualité » (du style, du papier, de l’objet, etc.) – que je ne me risquerai pas à chiffrer. Je vais me contenter d’imaginer que je suis une bonne affaire, ce n’est pas donné à tout le monde.

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Mademoiselle Bébé

mademoiselle-bébéLa taille moyenne d’un Vietnamien est inférieure à celle d’un Français, je suis plus grand que la moyenne des Français, donc comment voulez-vous que je dorme dans un train-couchette reliant Hanoï à Lao Cai ? J’ai tout essayé : en travers, en chien de fusil, sur le dos, toujours un obstacle s’interposait entre le confort minimum requis pour s’endormir et moi. Je retiens de ce voyage que Le Chinois, d’Henning Mankell, est un excellent bouquin. Et une particularité du Vietnamien urbain que j’avais déjà repérée en deux jours passés à Hanoï : chacun pour sa gueule.
En effet, lorsqu’au milieu de la nuit le téléphone portable de mon voisin de couchette supérieure se mit à sonner (très fort), il laissa sonner (très longtemps), puis finit par décrocher et se lancer en hurlant dans une conversation (très longue). Je n’ai rien dit, il était chez lui après tout – j’agis de même en Corse quand une voiture immatriculée 2A ou 2B me coupe la route.
Chacun pour sa gueule, à moins que ce ne soit que la manifestation d’un sens de la politesse et du respect d’autrui légèrement différent des nôtres (pourtant en pleine déréliction).
En tout cas, sachez qu’au Viêt-Nam, personne ne vous laissera passer à une porte, ne vous la tiendra, au contraire, on vous la lâchera dans la gueule, on vous bousculera, on vous poussera, à un croisement, à vous jeter dans le fossé plutôt que vous laisser passer. Leur code de la route a dû être inventé par le même dingo qui a imaginé les accents de leur alphabet.
Non, rectificatif, leur code de la route n’a pas encore été inventé.

Après ce bringuebalant voyage jusque dans les montagnes du Nord Ouest, nous arrivâmes à l’aube à Sapa pour deux jours de randonnée, avec une guide francophone, Vinh, que nous devions attendre deux heures dans une maison où il nous fut proposé de prendre une douche et de nous reposer, impeccable organisation  (ici, je me dois de faire du placement de produit pour la petite agence dans laquelle officie Hien, ma charmante belle-sœur, Oriental Bridge Travel, spécialiste du voyage à la carte hors des sentiers battus).
Je passai de longues minutes sur le perron, à regarder le marché s’installer, puis commencer à grouiller, découvrant de nouvelles odeurs, des sonorités inconnues, des attitudes, des visages, des démarches. Quelques personnes entrèrent dans la maison, d’autres en sortirent. En guettant l’arrivée de notre guide, à mesure que l’heure du rendez-vous approchait, une apparition me fit presque éclater de rire : une minuscule jeune femme coiffée d’un bob à fleurs, duquel s’échappaient des mèches rousses, vêtue d’une veste rouge et chaussée de bottes en caoutchouc bleues. Elle entra dans la maison mais je n’eus pas le temps de poursuivre plus avant mon examen, une autre femme, vêtue de noir et portant des chaussures de marche, arriva à son tour.
– Vinh ? demandai-je.
– Oui.
Je me présentai, nous montâmes à l’étage retrouver S., il était temps d’aller prendre notre petit déjeuner avant de partir pour nos deux jours de randonnée dans les montagnes.
Je trouvai S. en grande conversation avec bob-à-fleurs. Dont j’appris l’imprononçable prénom, Thuong. Avec lequel j’allais devoir me familiariser : nous avions 1m50 et 25 kilos de guide, car Vinh devait prendre en charge un groupe qui randonnait plus longtemps que nous.
– Parce que Vinh est un guide pour de vrai, m’informa mini-Thuong. Moi, je suis dans le bureau.
Voilà qui me rassurait.
– Tu connais Lara Fabian ? reprit-elle, insensible à mon désarroi. J’adore Lara Fabian. « Je t’aime, je t’ai-aime, comme un fou, comme un soldat »…
– Heu… Le petit-déjeuner, c’est où ?
– Oui, on y va, on y va. Comme j’arrive pas à dire ton nom et que tu es grand, tu seras Monsieur Papa.
– Ah… Et tu vas faire la randonnée avec ces bottes ?
– Oh oui ! Je chausse trop petite. 32. Pas de chaussures pour marcher à mon taille. Tu connais Enrico Macias ? On va chanter, hein ?

Le détour anthropologique permet toujours de relativiser. Parlerait-on de mon roman au Masque et la Plume ou chez Clara et les chics livres, dans Libé ou Télérama ? Thuong (vite devenue « Mademoiselle Bébé ») vit dans un box de 10m² sans eau car elle envoie la quasi-totalité de son salaire à sa famille (une mère bafouée, un père alcoolique et deux frères fainéants). Serai-je invité au festival Étonnants Voyageurs, à celui de Saumur ? Thuong a perdu le bébé dont elle était enceinte à cause d’un accident de scooter ; le père l’a aussitôt quittée. Vais-je vendre assez de livres pour pouvoir financer quelques travaux de restauration dans ma maison ? Comme elle vient d’arriver dans l’agence, Thuong n’a pas droit de retourner voir sa famille pour le Têt, qu’elle passera seule dans son gourbi, entre deux randonnées avec des Français qui parfois lui proposent un petit supplément DSK et s’étonnent, voire s’énervent, qu’elle refuse, outrée.

Pendant deux jours, malgré ses bottes en caoutchouc qui lui meurtrissaient les pieds, Thuong a avancé tout sourire à un rythme soutenu ; elle nous a préparé à manger, a négocié pour nous au marché, nous a raconté des choses sur son pays, dont elle n’est jamais sortie, et ses coutumes. Alors je peux bien vous l’avouer, que Jeffrey Lee Pierce me pardonne, j’ai beuglé du Hélène Rolles, du Lara Fabian et du Roch Voisine au milieu des rizières de Sapa.
Et avec joie.

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