Les mauvaises feuilles (1)

Couv_ETLF_smallEntre toutes les femmes, mon quatrième roman, sortira le 8 janvier 2015.
En attendant, je vous propose en avant-première mondiale de lire non pas, comme les magazines le proposent pour les best-sellers annoncés, les bonnes feuilles, mais des extraits qui ont été coupés à la relecture. Les mauvaises feuilles.

Comment ça, « c’est pas très vendeur » ?…

*

L’explication lui apparaît le soir même, pendant qu’il regarde un match de football avec Aura et Jim. Le commentateur loue la personnalité d’un joueur qui ressort du collectif précisément parce qu’il permet à celui-ci d’être efficace. Tout en étant singulier, ce joueur n’est que le onzième d’un tout qui sans lui aurait été moins équilibré ; il n’est pas aussi brillant que la star de son équipe – qui fait se lever la foule par ses gestes techniques, certes, mais ceux-ci ne débouchent sur aucun bénéfice collectif. Dans l’équipe adverse, aucun joueur ne ressort. Les commentateurs parlent d’un bloc discipliné, sans génie, dans lequel les remplaçants se fondent anonymement lorsqu’ils entrent en jeu. L’un d’eux est interviewé à la fin du match. Il lui est demandé s’il n’est pas frustrant pour lui de jouer à un poste qui n’est pas le sien, ce qui l’empêche d’exprimer ses qualités individuelles. Il répond d’un air résigné que ce sont les choix du coach et qu’il est au service de l’équipe.
– Quel joueur préférerais-tu être, Aura ? demande Arsène une fois l’écran éteint. Le génie admiré de tous, le chef d’orchestre discret reconnu par ses pairs ou celui qui se plie à la discipline collective jusqu’à renier ses qualités propres?
– Le chef d’orchestre, répond-elle sans hésitation.
– Mais 90% des gens répondraient le génie, non ?
– Au moins, oui.
– Pourquoi ?
– Ah non, Arsène, on ne pourquoite pas ce soir !
– Moi je choisirais le génie, affirme Jim en revenant avec le dessert et une bouteille de vin. Parce qu’il gagne plus de blé et qu’il a toutes les filles à ses pieds.
– Mais il est jalousé, voire détesté, le contre Aura. Il ne saura jamais qui sont ses vrais amis.
– Tu crois que le bon petit soldat, il est plus heureux ? Il fait ce qu’on lui dit de faire, il n’a aucune liberté, il n’est qu’un parmi d’autres. Une vie pourrie de mouton, voilà ce qu’il a !
Le plop ! du bouchon extirpé du goulot ponctue la tirade de Jim. Arsène semble réfléchir à voix haute lorsqu’il reprend :
– Une équipe dans laquelle il n’y aurait que des solistes jouant pour être applaudis serait aussi peu épanouissante pour chacun des joueurs, qui se battraient alors entre eux pour le ballon, qu’une équipe où il n’y aurait que des exécutants dociles brimés dans leur créativité individuelle. Au contraire, une équipe dans laquelle chaque joueur serait heureux, c’est une équipe où l’on prendrait à la fois en compte leur envie de jouer au football, donc ensemble, et leurs qualités propres de footballeur.
– Tu veux devenir entraîneur ? ironise Jim.
– Ça s’appelle une métaphore, fait Aura. Je crois que je vois où tu veux en venir, Arsène. Mais comment rends-tu cela…
– … ifféragable ? complète Jim. C’était ça la question ?

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